6 juin 2022

Réflexions sur la justice environnementale : incursion dans le handicap et la justice environnementale à travers le prisme des artistes

Lourdenie Jean

Féministe intersectionnelle, Lourdenie se fait surtout reconnaître pour son travail activiste et communautaire depuis les 5 dernières années. Toutefois, sous cette passion pour la justice, se cache un amour inconditionnel pour les arts, ainsi qu’un cœur d’enfant. Chanteuse, autrice, dessinatrice -et plus encore- à ses heures, elle utilise l’art comme principal outil émancipateur dans son quotidien.
Qu’importe le médium dont elle se sert pour créer, les thématiques qui l’inspire le plus sont son identité plurielle, ses idéaux politiques, ainsi que ses émotions, tout simplement.

 

Lourdenie Jean

 

Questions et réponses:

Pourquoi avez-vous sélectionné ces œuvres particulières pour les partager avec le public dans le cadre de la SNA?

Avec cette sélection, j’ai voulu mettre de l’avant ma relation à la nature. Ces différentes pièces montrent cette relation qui oscille entre les différentes composantes de mon être et qui s’influencent l’une l’autre. Certains aspects de cette dynamique sont délimités par des barrières sociales qui se traduisent par un manque d’accès à la nature. Dans La Reine, j’aborde l’objectivation de mon corps en tant que femme noire aux courbes généreuses et le harcèlement de rue qu’il provoque comme un obstacle à la valorisation des espaces publics. En zone urbaine, où les parcs sont le principal accès aux espaces verts, le harcèlement de rue est interrelié à de nombreux enjeux environnementaux, même si ce lien est souvent négligé.  

Alors que ma valeur peut être remise en question, réduite et effacée lorsque j’occupe des espaces publics, ce portrait met l’accent sur ma résistance face à ces violences. Dans la même veine, le poème Hair Whisperer aborde mon chemin vers la guérison pour me reconnecter avec la terre, la nature et l’autonomie. Ce poème se moque du projet colonial de déraciner les communautés noires de la terre à cause de notre lien indéfectible avec elle et que je vis personnellement à travers mes cheveux naturels. 
Cette œuvre sous-entend que nous, les femmes noires, sommes la nature et que nous partageons avec elle les traumatismes de la terre. Cette croyance est d’ailleurs explorée dans l’oeuvre Dolce far niente qui illustre une femme noire aux courbes généreuses en reprenant les codes de L’Homme de Vitruve. En récupérant des éléments du célèbre dessin, Dolce far niente démonte son héritage eugéniste, célébrant ainsi la beauté en dehors de ce qui est considéré comme un humain parfait.  

 

Comment votre art reflète-t-il le handicap et la justice environnementale? Ces deux choses sont-elles liées pour vous?

La plupart de mon art se concentre sur mon corps parce que tout en découle : de la façon dont il est perçu à mon interaction avec les environnements proches de moi en passant par les émotions générées par ces éléments. Le handicap, la justice environnementale et bien d’autres concepts s’entremêlent sans cesse dans mon corps. En tant que femme noire, de nombreuses parties de moi sont politisées de telle sorte que le système limite mes capacités. Cela fait écho aux schémas de capacitisme qui prennent racine dans le désir de chasser ce qui était qualifié d’imperfection de la nature.  

 

Comment la race, le genre, le handicap et l’environnement s’entrecroisent-ils dans votre travail? Pourquoi? 

Sur ma plateforme L’Environnement, c’est intersectionnel, je vulgarise la manière dont le capitalisme vole la possibilité des collectivités de subvenir à leurs besoins en réduisant l’environnement ainsi que certaines communautés spécifiques à des marchandises (principalement). C’est cette (dé)connexion qui lie de nombreuses oppressions et violences environnementales, car la présence d’obstacles explicites pour subvenir à ses besoins est un pilier de l’oppression, ce qui en parallèle, cause plus de gaspillage.


Art

 

La Reine

 

 

 

 

Depuis que je suis jeune, on m’a fait comprendre que mon corps ne m’appartenait pas. J’ai eu des courbes très jeune et ça a rapidement été instrumentalisé contre moi pour m’arracher mon enfance. Je me souviens encore de mon premier catcall. Je revis constamment la même paralysie d’un enfant de 12 ans qui ne comprend pas comment on peut se permettre d’être autant violent.e.
Parallèlement, on tentait de me « protéger » en me contrôlant davantage. « Trop court, trop serré », dans tous les cas, on m’annonçait que mon physique dérangeait.
« La Reine » est une réponse à toute cette politisation. Cette œuvre est un espace où je me réapproprie ma sensualité sans qu’elle n’appartienne à personne d’autre qu’à moi. Elle représente mon alter ego du même nom à l’estime surdimensionnée, frôlant l’arrogance qu’on retrouve également dans ma nouvelle Doppelgänger. Dans cette histoire, on suit sa vengeance macabre envers un agresseur qui l’a catcall. Les énoncés sont des extraits dudit texte la décrivant, à titre de rappel que sa magie est le seul véritable pouvoir dans la situation.

 

Hair whisperer

 

 

 

 

 

Dolce far niente

Dolce far niente ou le plaisir de ne rien faire n’est pas qu’un état, mais c’est aussi tout un concept italien qui se veut contemplatif de l’inaction ainsi que de la tranquillité. Dans ce dessin, nous sommes invitées dans l’intimité de la figure illustrée afin de célébrer avec celle-ci l’étendue de la beauté d’un de ses (rares) moments de quiétude.
Cette œuvre aux allures de la Renaissance, reprend des codes de L’Homme de Vitruve – symbole dudit mouvement artistique– tout en déconstruisant son héritage eugénique. Cela se fait en mettant en vedette une femme noire avec des courbes dans des positions asymétriques, dont certaines volontairement difformes.

 

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