30 mai 2019

Semaine nationale de l'accessibilité 2019 : La parentalité à l’intersection du handicap et de la race par Marlihan Lopez

Durant la semaine nationale de l'accessibilité 2019, nous organisons un blogathon:blogs/vlogs par jour sur les sujets de l'accessibilité. Découvrez ce blog par Marlihan Lopez sur ses expériences comme mère monoparentale d'un garçon noir autiste.

 

 

Marlihan Lopez est une activiste afroféministe et une organisatrice communautaire qui s'attaque aux problèmes liés au racisme anti-Noir, à la violence sexuelle basée sur le genre et à ses intersections. Elle a coordonné la division de l'intersectionnalité pour le Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, où elle a mené un travail de plaidoyer et sensibilisé à la manière dont le genre, la race, la classe et les capacités se croisent dans le contexte de la violence sexuelle. Elle a été présidente de la Fondation Paroles de femmes, une organisation féministe par et pour les femmes racisées engagées à créer des espaces inclusifs où les femmes racisées peuvent parler et partager leurs expériences et leurs points de vue divers. Elle a également organisé avec des mouvements comme Black Lives Matter et Montréal Noir autour de questions telles que le profilage racial et les brutalités policières. Elle est actuellement vice-présidente de la Fédération des femmes du Québec et coordonnatrice du programme d'études interdisciplinaires en sexualité de l'Institut Simone de Beauvoir.

 

La parentalité à l’intersection du handicap et de la race : Comment le fait d’être la mère monoparentale d’un enfant neurodivergeant a changé mon travail en tant qu’organisatrice communautaire

par Marlihan Lopez

(Cette version est une traduction faite par DAWN Canada de la version originale anglaise)

 

En tant que militante et organisatrice communautaire, le travail de plaidoyer concernant divers enjeux de justice sociale tels que le racisme et les droits des migrants fait partie de mon quotidien. Mon vécu en tant que femme noire, queer et immigrante influence énormément le travail que j’effectue. Il s’agit d’intersections que je connais bien. Je suis ensuite devenue la mère d’un garçon autiste, ce qui m'a obligée à développer et à pratiquer une maternité révolutionnaire et à réfléchir à ce que représentait la maternité pour moi. Comme il s'agissait de mon premier enfant, je n'avais pas beaucoup réfléchi à la façon dont la maternité aurait pu être un acte radical et à la manière dont elle aurait pu servir de vecteur de changement et de création communautaire. En tant que mère, j’ai dû affronter de plein fouet le capacitisme et les oppressions intersectionnelles, ce qui a eu un énorme impact sur ma façon de naviguer différents espaces et ma manière de traiter des enjeux de justice sociale.

Je suis la mère monoparentale d'un garçon noir autiste de 9 ans. L’expérience de la maternité noire a changé ma vie. Je savais que certaines de ces expériences seraient difficiles car j’avais aussi eu à naviguer le monde en tant qu’enfant noire en Amérique du Nord. J'étais consciente que les corps noirs étaient traités comme des armes et du fait que les enfants noirs ne bénéficient pas des mêmes avantages que leurs pairs blancs. Cependant, je ne savais pas comment le handicap, en particulier la neurodivergence, pouvait recouper l’identité noire, ce qui allait avoir comme effet d’accroître les défis auxquels j’allais être confrontée en défendant les droits de mon enfant. De plus, je n'étais pas prête à mener cette lutte au sein des cercles de justice sociale.

Franchement, je ne m'attendais pas à ce que cela change ma perception de l'organisation communautaire et de la justice sociale. Je ne vais pas mentir à ce propos. La justice pour les personnes en situation de handicap ne faisait pas partie intégrante de mes efforts d’organisation communautaire. C'était presque entièrement absent de mon travail d’organisation communautaire au sein des mouvements féministes et antiracistes. Comme de nombreux autres organisateurs et organisatrices communautaires, j'ai compris l'importance de rendre nos événements accessibles, mais je n'avais réfléchi qu’aux questions concernant l'accessibilité physique. Je n’avais aucune connaissance en matière de neurodivergence ou de neurodiversité. Je n'avais pas encore reconnu la nécessité de décoloniser mon esprit de l'éducation que j'avais reçue afin de devenir une meilleure mère et d’être plus cohérente dans mon activisme et mon travail.

Comme j’étais active dans différents mouvements de justice sociale, j’étais confiante de pouvoir offrir à mon enfant une éducation où les sentiments antinoirs, l’hétéronormativité et le sexisme seraient contestés et déconstruits continuellement. Cependant, cela n'était pas suffisant. En tant qu’enfant noir, mon fils vivait de la stigmatisation et d'autres obstacles systémiques qui minaient son bien-être et sa croissance. Le capacitisme et le racisme signifiaient que le système ne considérerait pas toujours mon enfant comme un enfant. Tous les comportements possibles de son enfance étaient pathologisés et sa peau noire faisait de son petit corps une arme. Le modèle d’éducation traditionnel s'attendait à ce que je travaille afin de développer des comportements neurotypiques tout en éradiquant les comportements « atypiques »", mais je savais que cela briserait l'esprit de mon enfant. J'ai donc décidé d'apprendre de mon enfant, ce qui m’a forcée à désapprendre et à remettre en question un tas d'attitudes et de comportements en matière de capacités. J'ai dû déconstruire des concepts tels que « normal », « socialement acceptable » et même « inclusion ».

Lorsque je me suis tourné vers les communautés de justice sociale, j'ai été confrontée au capacitisme présent au sein de nos mouvements. Avant ce moment, je ne m'étais pas questionnée sur la sous-représentation des personnes handicapées étaient sous-représentées, en particulier celle des personnes souffrant de troubles mentaux et cognitifs. Et pourquoi devrais-je? Nous nous demandons rarement qui manque dans nos mouvements. Cependant, leur exclusion signifie que nous ne gérons pas correctement le capacitisme et ses intersections avec d’autres enjeux de justice sociale tels que la brutalité policière, le profilage racial et la justice pour les migrants.

En tant qu'organisatrice communautaire œuvrant sur les questions de racisme anti-noir, je constate souvent comment les questions de handicap sont éliminées de nos efforts de défense des droits. En ce qui concerne la justice raciale et pour les migrants, de nombreux mouvements ont tendance à représenter et à élever les personnes qui se situent au centre, soit celles qui appartiennent à des groupes dominants, reléguant les personnes handicapées, les personnes queer et les autres groupes non dominants aux marges. Les politiques de respectabilité présentes dans nos mouvements continuent d'influencer et de dicter quelles voix seront priorisées et quelles questions seront soulevées. Nous devons faire mieux. Nous devons adresser le manque de sensibilisation, l'inaccessibilité et la stigmatisation qui exclut les perspectives neurodivergentes et autres perspectives issues du milieu handicapé au sein des mouvements de justice sociale.

En tant que parent d'un enfant en situation de handicap, ces dynamiques au sein de nos communautés de justice sociale ont été extrêmement aliénantes. J'ai été témoin du langage et des attitudes capacitistes présentes dans nos espaces. J’ai appris à m’y attendre de la part des institutions et du système, mais j’attends mieux de nos communautés de justice sociale. À un moment, j'ai failli quitter l’organisation communautaire, jeter l'éponge et abandonner ces espaces. Cependant, j’ai toujours envisagé élever mon fils avec un sens de la communauté et de la justice sociale, donc j’ai décidé de me retrousser les manches. J'ai décidé d’épauler les efforts de justice pour les personnes en situation de handicap et de commencer à partager les expériences et les connaissances que j’avais acquises en élevant un enfant neurodivergent. Il m'apprend que nous devons faire mieux. Il me pousse à contester et à faire changer la culture normative, l’un des pierres angulaires du capacitisme. Je sens un fort sens de la responsabilité et je sais que je dois continuer à lutter, mais en même temps, je me sens bénie d’avoir également appris à utiliser la maternité comme vecteur de changement. Alexis Pauline Gumbs écrit :

« Nous disons que le fait d'être mère, surtout le fait d’être la mère d’un enfant appartenant à un groupe opprimé, et surtout le fait d’être mère afin de mettre fin aux guerres, au capitalisme, à l’homophobie et au patriarcat est un acte queer. Et c’est une bonne chose. Et c’est une chose nécessaire. C’est une chose essentielle et dangereuse. Celles d’entre nous qui élèvent ces vies qui ne devraient pas exister et qui ne sont pas censées grandir, qui sont révolutionnaire au plus profond de leurs âmes et qui effectuent l’une des travaux les plus subversifs au monde. »

En tant qu’organisateurs, notre travail est de créer la communauté. Nous devons nous demander; quelles personnes sont laissées derrières et pourquoi sont-elles exclues? Quels préjugés et comportements oppressifs reproduisons-nous au sein de nos mouvements? Nous devons également aller au-delà de la déconstruction des mythes et des préjugés entourant le handicap. Nous avons adopté un langage prônant l'inclusion et la diversité, mais reléguons la neurodivergence dans les marges de nos mouvements. Nous devons nous remettre en question et décoloniser notre pensée. Les ressources sont là.

Si nous voulons que nos mouvements incluent les personnes neurodivergentes et les personnes en situation de handicap, nous devons rendre ces derniers accessibles. Nous devons nous mettre au travail et élaborer des normes et des pratiques communautaires en matière d'accessibilité. Les petites actions sont importantes dans un contexte organisationnel, et ce, qu’il s’agisse de planifier des pauses fréquentes, de limiter la durée de la réunion et de rechercher des espaces accessibles pour les personnes à mobilité réduite ou ayant une déficience neurocognitive. Nous devons apprendre comment créer un climat où différents besoins en matière d’accessibilité sont reconnus, acceptés et pris en compte. Par dessus tout, nous devons nous souvenir du vrai sens de la communauté et apprendre à nous épauler mutuellement et à comprendre que la force et la puissance de nos mouvements en dépendent.