6 novembre 2020

Intersections du handicap, de la communauté et de l’autosuffisance

 

Intersections du handicap, de la communauté et de l’autosuffisance

par Michelle Beauséjour

 

 

J’ai commencé à ressentir de la douleur chronique au milieu de mon adolescence. Comme j’ai été très active pendant mon enfance, j’ai développé des symptômes liés au tunnel carpien qui se sont aggravés à la mi-vingtaine. À l’époque, j’occupais un emploi « 9 à 5 », en plus de démarrer ma carrière d’artiste et de joaillière sous le nom de The Birch Trail et de cofonder le mouvement de créateurs Collectif Créatif Montréal, qui impliquait l’organisation de quatre marchés à grande échelle par an. Je me suis surmenée, moi comme mes mains, au point de ne plus pouvoir porter un sac d’épicerie. Je m’étais rapidement dirigée vers un épuisement professionnel et, par conséquent, j’avais développé des problèmes très incapacitants à la mâchoire et au cou.

Ma vie était tellement ancrée dans l’idée capitaliste et coloniale qu’il faut jouer du coude pour réussir, que je négligeais les signes que mon corps m’envoyait. Il est facile de perdre cette connexion avec soi-même dans l’effervescence d’une métropole. Je me suis rendu compte à quel point ces attentes d’hyperproductivité sont irréalistes. En fait, la vraie définition du succès pour moi est individuelle et ne doit pas reposer sur des idéaux eurocentriques et coloniaux. Je ne cherchais pas à atteindre le « sommet » et à avoir un salaire à six chiffres. Je voulais créer une communauté tout en offrant aux créateurs la possibilité de formuler leurs propres définitions du succès. Cette prise de conscience m’a ramenée à qui je suis en tant que Michif. J’ai recommencé à réfléchir à notre conception originelle du monde et à la façon dont ces mentalités coloniales ne me représentent pas. Rappelons-nous que ces concepts de jouer du coude et de l’atteinte du succès nous ont été imposés et ne viennent pas de nous. Ils ignorent les enseignements qui nous ont été inculqués, soit de prendre uniquement ce dont nous avons besoin et de penser aux impacts de nos actions sur les prochaines générations.

En fin de compte, je ne pouvais plus ignorer les messages que mon corps m’envoyait. J’ai dû abandonner mon emploi régulier et me lancer dans l’entrepreneuriat à plein temps afin de pouvoir adapter mon horaire en fonction de mes crises de douleur tout en gardant un toit au-dessus de ma tête. J’ai été chanceuse, car j’avais déjà jeté de bonnes fondations. En effet, je dirigeais deux entreprises créatives depuis déjà quatre ans avant de laisser tomber mon emploi stable. Devenir entrepreneure à plein temps m’a aidé à donner à mon corps le repos dont il avait besoin et m’a permis d’organiser mon emploi du temps autour des crises et des nombreux rendez-vous. Cela m’a également permis de décompresser et de me préparer mentalement à affronter le système de santé québécois. 

Là où les intersections de mon appartenance autochtone et de mon handicap ont été le plus manifestes, c’est dans ma quête d’être entendue et crue par les professionnels de la santé. En tant que personne s’identifiant comme une fxmme, c’est déjà plus difficile d’être entendue et prise au sérieux. Mon appartenance autochtone n’a fait qu’ajouter une autre couche de difficulté. J’ai l’air blanche, ce qui me donne plus de privilèges que mes proches, mais dès que les professionnels de la santé savent que je suis autochtone, je goûte au racisme anti-autochtone présent dans le système de santé. Souvent, on me parle de mon identité parce que j’ai un nom français, alors que l’anglais est ma langue maternelle. Même lorsque cela ne devrait pas être important, plusieurs professionnels de la santé m’ont demandé d’expliquer cette situation. Dans les dernières années, j’ai été interrogée par des ambulanciers à ce sujet alors que je n’arrivais pas à contrôler mes tremblements causés par une crise de douleur névralgique. Je voyais le changement d’attitude à mon égard quand mon identité était révélée. Je voyais qu’on m’identifiait comme quelqu’un qui veut seulement avoir accès à des médicaments et qu’on ne me donnait pas de soins malgré mes symptômes visibles. Devoir constamment se défendre face à ce système est une rude bataille, mais j’ai trouvé du réconfort dans les médecines traditionnelles, les cérémonies et la connexion avec d’autres peuples autochtones qui ont connu des difficultés similaires. Nos histoires sont nombreuses et rarement entendues.

Cependant, en organisant tous ces marchés, j’ai tissé des liens avec de nombreux créateurs autochtones et non autochtones qui vivent des situations similaires, ayant ont été forcés de prendre un congé ou de quitter leur emploi. Des gens qui ont trouvé leurs passions dans ce qui a commencé comme un passe-temps et s’est transformé en un mode de vie tout en offrant la liberté de s’adapter à leur problème de santé. J’ai vraiment l’impression qu’une communauté tissée serrée s’est formée. Cela m’apporte tellement de joie de savoir que je peux leur offrir ces opportunités et donner à des personnes comme moi les moyens de s’autodéterminer et de devenir autosuffisantes. Mon espoir pour l’avenir est qu’il y ait davantage d’espaces dédiés à une approche autochtone de la guérison où la science et la médecine traditionnelle peuvent se rencontrer sans préjugés.

 

Michelle Beausejour est artiste michif et organisatrice communautaire de Tkaronto et vit actuellement au territoire non-cédé Tio'tia:ke.