20 février 2020

Une lettre d’amour aux femmes Noires

Par Willow Cioppa

Avertissement de contenu: Mention de l'alcool

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Je me suis rendu compte qu’il fallait que j’arrête les shooters de tequila une fois assise à l’extérieur du club un jeudi. Je pleurais à cause d’un DJ. Mes yeux brûlaient. Je ne savais pas si c’était à cause des extensions de cils qu’on m’avait posé plus tôt dans la journée ou si de la tequila coulait de mon foie jusqu’à mes yeux, mais inutile de dire que je n’étais pas à mon meilleur.

Ce n’était pas la première fois que je pleurais pour un DJ, mais c’était de loin la fois la plus gênante. Il était beau, c’est sûr. J’aimais la façon dont il parlait de réparation pour les Noirs et il me faisait me sentir intelligente à bien des égards. Il m’a dit que j’étais la seule personne avec qui il pouvait avoir de grandes conversations. Je me rends compte maintenant que je me permettais de rester au lit avec lui jusqu’à 2 heures du matin, à l’écouter se lamenter en essayant de ne pas m’endormir.

Le problème, c’est qu’il ne croyait pas à l’intersectionnalité. Il trouvait que mon engagement envers le féminisme noir était source de division et que d’encourager les hommes noirs à se défaire des fausses idées toxiques qu’ils ont sur leurs propres émotions, c’était comme si moi je détestais les hommes. Selon lui, ma non-binarité découlait du fait que j’avais grandi entourée de drag queens. Il m’a dit que les limites que je me fixais l’incommodaient et qu’il ne voulait pas jouer de game. Quand un traumatisme refaisait surface, il me demandait d’aller pleurer dans la salle de bain pour ne pas avoir à m’entendre.

Assise à l’extérieur du club, j’avais l’impression d’être la fille noire fatigante qui prenait trop de place alors que mes cils hors de prix glissaient sur mes joues et que mes ongles se détachaient à force d’être rongés par l’anxiété. Je ressentais l’impact de cette rupture violente tout en prenant conscience que, même s’il prétendait être d’accord avec la libération des Noirs, ça ne voulait pas dire qu’il y incluait la mienne.                                            

Il m’avait appris à me taire. Après avoir passé plus de la moitié de 2019 à me faire petite pour faire de la place à son ego, j’ai compris que je pouvais me donner la permission de prendre de la place moi aussi. Ça fait presque peur, la liberté, quand tu découvres que tu n’es plus obligée de garder le silence pendant qu’il écoute ses podcasts plutôt afrocentriques et qu’il exige de choisir les garnitures de la pizza trois soirs de suite.

Même si je viens de passer 425 mots à parler de lui, ce texte n’est pas le sien. Ce texte ne parle pas de lui. Il parle de moi. Enfin. Il parle aussi d’amour noir, celui qui va au-delà du besoin de s’effacer complètement pour faire place aux traumatismes des hommes qui refusent de vous écouter. Vous méritez d’être entendues.

Ce texte est une lettre d’amour aux femmes noires : celles qui soutiennent tout le monde autour d’elles, même quand leurs bras font mal et que leur dos est voûté. Je vous vois et je vous entends. Et je prie pour que vous vous reconnaissiez dans ce texte et qu’il vous rappelle que vous méritez de vous sentir valorisées. Notre amour est magnifique. Il construit des nations et guérit des communautés. J’ai appris, en aimant ce DJ, à quel point j’étais prête à renoncer à mon propre bien-être pour lui plaire. Je l’ai aimé. Je ne comprenais pas trop pourquoi, mais je l’aimais. Je voulais qu’il se sente soutenu, mais j’oubliais souvent que j’ai besoin de me sentir soutenue, moi aussi. Vous ne demandez qu’à vous sentir soutenues vous aussi. Vous le méritez. On vous le doit. C’est à vous de le demander.

Être noire est rempli de nuances. Je suis humaine, moi aussi. Mon existence est truffée d’intersections. Je suis noire, je suis une femme noire, je suis une femme noire queer, je suis une femme noire queer en situation de handicap, je suis une femme noire queer en situation de handicap d’origine mixte. Je suis une personne à part entière, qui aime et qui demande à être aimée en retour.

C’était une femme noire qui était assise avec moi pendant que je pleurais devant le club. Quand j’étais dans mon pire état, elle m’a soutenue et ça m’a rappelé le pouvoir que nous avons de prendre soin des gens qui nous entourent. Merci, je vais mieux grâce à toi.

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Willow Cioppa est un-e artiste et écrivain-e interdisciplinaire basé-e à Montréal, au Québec. Iel est passionné-e par de nombreuses choses, y compris, mais sans s'y limiter, la musique rap et le soulèvement social, politique et économique de la population Noire.