7 mars 2024

Journée internationale des femmes : Evelyn Huntjens

Extrait du discours d'Evelyn Huntjens

 

Je m’appelle Evelyn Huntjens. Je suis fière d’être une femme des Premières Nations, membre du peuple Xeni Gwet’in de la Nation Tŝilhqot’in de Nemiah, située au cœur de la Colombie-Britannique. J’ai aussi des ancêtres issus de la Nation crie de Montreal Lake en Saskatchewan. Je réside aujourd’hui sur l’île de Vancouver, sur le territoire ancestral de la Première Nation Quw’utsun. Je suis une mère, une fille, une sœur, une partenaire, une amie et une alliée.

Au cours de l’année écoulée, j’ai occupé un poste polyvalent auprès d’Indigenous Disability Canada, où je travaille depuis 2016, et auprès du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada, DAWN Canada. En ma qualité de directrice des initiatives pour les autochtones, je dirige les efforts que déploie DAWN Canada pour amplifier les voix des femmes et des filles autochtones et des personnes de diverses identités de genre en situation de handicap. J’apporte plus de sept années de leadership dans les secteurs du handicap et de la santé des Autochtones, et mis l’accent sur la coordination et le développement de services de navigation qui aident à assurer le bien-être économique, social et général des personnes autochtones en situation de handicap.

Mes chères sœurs, alliées, collègues et championnes de l’égalité : 

Réunies ici aujourd’hui pour célébrer la Journée internationale de la femme, je me tiens devant vous en tant que femme, en tant que femme autochtone, et je ne saurais ignorer que, dans un passé pas si lointain, on a tenté de faire taire ma voix et celle d’autres personnes comme moi, comme vous, en nous ignorant, en nous méprisant et en nous manquant de respect. Mais nous sommes là, et nous le serons toujours. C’est avec fierté mais aussi avec humilité que je me tiens à vos côtés, vous qui êtes des leaders de l’espace féministe des droits de la personne et porte-parole de l’autonomisation et de l’inclusion des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre autochtones en situation de handicap. Notre parcours est fait de résilience, de détermination et d’un engagement inébranlable en faveur de la justice. 

Pendant trop longtemps, nos voix ont été réduites au silence, nos expériences marginalisées, nos droits bafoués par des promesses creuses de lendemains meilleurs. Mais demain n’arrivera que si, aujourd’hui, alors que nous nous tenons ensemble, solidaires, nous déclarons que nous n’accepterons plus les méthodes du passé et qu’ensemble nous forgerons notre propre avenir. Nous exigeons la reconnaissance, le respect et l’égalité des chances pour toutes les femmes autochtones, quelles que soient leurs capacités perçues, au sein des communautés autochtones et non autochtones, des gouvernements et de leurs systèmes, des organisations, partout, et pas seulement aujourd’hui, mais à jamais.  

Depuis des temps immémoriaux, nous sommes les gardiennes de la sagesse ancestrale, les protectrices de notre terre et les piliers de nos communautés. Pourtant, trop souvent, les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones sont confrontées à des formes de discrimination et de violence qui se recoupent. Nous sommes touchées de manière disproportionnée par la violence fondée sur le sexe, l’insécurité économique et le manque d’accès aux services et ressources essentiels.

Permettez-moi de dire ceci : comme vous le savez toutes, nous ne nous définissons pas par nos difficultés. Nous nous définissons par notre résilience, notre force et notre esprit inflexible. Nous savons ce qui est juste et, ensemble, nous avons le pouvoir de faire surgir des changements significatifs, de démanteler les systèmes oppressifs et de construire un avenir où toutes les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones pourront s’épanouir. 

Notre travail n’est pas facile, mais il est essentiel. Nous continuerons de défendre sans relâche les mesures de soutien, les services et les occasions qui améliorent les moyens de subsistance et le bien-être de nos sœurs en situation de handicap. Nous continuerons de lutter contre la stigmatisation et la discrimination qui les marginalisent trop souvent. Et nous veillerons à ce que leur voix soit entendue et respectée dans toutes les décisions qui se répercutent sur leur vie. Nous les soutiendrons afin qu’elles assument, sans entraves, leur rôle de chef de file. Nous leur rendrons le pouvoir que d’autres ont essayé de leur refuser.

Mais notre vision va au-delà de la simple survie; elle est plus qu’adéquate. Nous envisageons un monde où les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones en situation de handicap ne sont pas seulement incluses, mais célébrées pour leurs contributions uniques et vitales à nos communautés. Un monde où toutes ont un accès égal à l’éducation, à l’emploi et aux soins de santé et prennent leur place dans la collectivité. Un monde où elles sont libres de vivre pleinement, sans craindre la violence, le racisme ou la discrimination. Cela ne devrait pas être qu’un rêve; cela devrait être la réalité. 

Mes sœurs, soyons le changement que nous souhaitons voir dans le monde. Continuons de donner l’heure juste, de nous élever les unes les autres et de construire des ponts de solidarité au-delà de nos différences. Ensemble, nous pouvons créer un avenir où chaque femme, fille et personne de diverses identités de genre autochtone pourra vivre dans la dignité, l’égalité et le respect, car c’est notre droit à toutes.

Pour célébrer cette Journée internationale de la femme, renouvelons notre engagement en faveur de la justice, de la solidarité et de la poursuite inlassable d’un monde meilleur pour nous toutes. 

Mais le chemin à parcourir sera long et ardu, car nous savons que les femmes autochtones sont touchées de manière disproportionnée par la violence fondée sur le sexe, la pauvreté, la discrimination et le racisme.

Au Canada :

  • Plus de 60 % des femmes et des filles autochtones déclarent avoir été agressées physiquement ou sexuellement, et nombre d’entre elles ne signalent jamais ces crimes.
  • Plus de 50 % des femmes et des filles victimes de la traite de personnes au Canada sont autochtones.
  • Plus de 50 % des femmes incarcérées dans les établissements correctionnels fédéraux sont autochtones et ces taux d’incarcération ont augmenté de plus de 70 % au cours de la dernière décennie.
  • Les femmes des Premières Nations sont cinq fois plus susceptibles de mourir par suicide que les femmes non autochtones.
  • Le taux de mortalité des filles des Premières Nations vivant dans les réserves est cinq fois supérieur à la moyenne nationale.
  • Depuis 1980, plus de 4 000 femmes, filles et personnes de diverses identités de genre autochtones ont été assassinées.
  • Plus de 50 % des enfants de femmes autochtones vivent dans la pauvreté.
  • Plus de 50 % des enfants pris en charge sont autochtones.
  • Les femmes autochtones sont encore stérilisées contre leur gré ou sous la contrainte.
  • On note un racisme antiAutochtones épidémique au sein du système de santé et d’autres systèmes au Canada.

Et la liste est encore longue. 

Les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones en situation de handicap figurent en haut des listes sur lesquelles personne ne veut figurer, et tout en bas des listes sur lesquelles tout le monde voudrait figurer en tête. 

Ces statistiques dressent un tableau très sombre de l’avenir de nos jeunes femmes autochtones. Ces statistiques témoignent des lacunes et des obstacles auxquels sont confrontées toutes les femmes et les filles autochtones dans la recherche de moyens de subsistance, et nous savons que ces lacunes et ces obstacles augmentent avec le handicap et l’éloignement, ainsi que pour les personnes autochtones de diverses identités de genre.

Face à cet état de fait, je me pose souvent les questions suivantes :

Comment pouvons-nous guérir ensemble?

Comment pouvons-nous créer le changement dont nous avons besoin?

Comment pouvons-nous soutenir les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones en situation de handicap pour qu’elles opèrent ce changement? 

Et enfin…

Comment pouvons-nous nous assurer que ce qui est construit ne sera jamais détruit?

DAWN Canada et Indigenous Disability Canada reconnaissent le rôle important que joue le soutien par les pairs pour permettre aux femmes, aux filles et aux personnes de diverses identités de genre de s’allier en partageant leurs expériences et de créer des espaces sûrs et favorables à la guérison et à l’épanouissement personnel.

Dans le cadre du projet Enraciner la résilience, nous avons entrepris de mettre en place une coalition nationale à travers le Canada. Nous savons que les filles, les femmes et les personnes de diverses identités de genre en situation de handicap sont des spécialistes des obstacles qui les empêchent de réaliser leurs espoirs et leurs rêves et de trouver des moyens de subsistance, ainsi que de la manière dont ces obstacles peuvent être renversés. Notre objectif est de renforcer les compétences de ces personnes en matière de leadership et de plaidoyer afin qu’elles deviennent des agents de changement pour leurs droits au Canada. Notre objectif est de rassembler les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones pour qu’elles se joignent à ce mouvement. Un leadership autochtone en matière de handicap est essentiel à la réalisation de ce que nous voulons accomplir.

J’aimerais maintenant vous parler un peu de l’un de nos projets les plus récents. La fin de semaine dernière, j’ai dirigé une période de réflexion pour femmes autochtones visant à déterminer le pouvoir des relations réciproques dans la recherche autochtone tout en favorisant la guérison et la défense des droits. Ce projet reflète la nécessité de changer la façon dont nous étudions les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones.

Ces journées de réflexion ont permis à des femmes autochtones de se réunir, de partager leurs expériences et de contribuer à des discussions politiques importantes. Elles n’avaient pas pour seul objectif d’aborder la question de la violence fondée sur le sexe et du handicap; elles visaient à favoriser la guérison et la résilience au sein des communautés autochtones.

Dans le contexte de pratiques de guérison traditionnelles et d’ateliers culturels, les participantes ont trouvé un sanctuaire où guérir et renouer avec leurs racines. En facilitant des discussions ouvertes sur la spiritualité autochtone et les connaissances ancestrales, nous avons renforcé nos liens avec nos ancêtres et donné à ces femmes autochtones les moyens de se réapproprier leur identité.

Plus important encore, cet événement a permis à des femmes autochtones en situation de handicap d’influencer les discussions sur les politiques qui ont une incidence directe sur leur vie. Ensemble, nous avons exploré l’intersection de la violence fondée sur le sexe et du handicap et jugé de son impact sur leurs moyens de subsistance, tout en travaillant en collaboration pour formuler des recommandations stratégiques. Ces recommandations ne reflètent pas seulement les défis particuliers auxquels sont confrontées les femmes autochtones en situation de handicap; elles contribuent également à l’élaboration de politiques plus inclusives et plus efficaces.

En outre, cette période de réflexion a fourni des occasions de réseautage, en mettant en relation les femmes autochtones avec les organisations de personnes handicapées qui s’engagent à faire progresser leurs droits et leur bien-être. Elle a favorisé un sentiment de communauté et de soutien par les pairs, renforçant les liens entre les participantes autochtones et créant un réseau de collaboration permanente.

Cette période de réflexion pour femmes autochtones était bien plus qu’une simple escapade de fin de semaine. C’était une expérience transformatrice qui a rendu hommage au savoir autochtone, favorisé la guérison et donné aux femmes autochtones en situation de handicap les moyens de façonner leur avenir. Grâce à des relations réciproques et au partage d’expériences dans le cadre de nos recherches, nous pouvons créer une société plus équitable et plus inclusive pour toutes et tous. 

Plongeant dans ce nouveau voyage, je me suis demandé ce sur quoi je devais me concentrer. Mon objectif est d’allouer des ressources aux régions qui ont le besoin le plus pressant de soutien et de services, en remédiant aux lacunes et aux obstacles importants. Il est évident que les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones en situation de handicap sont profondément marginalisées, en particulier dans les régions rurales et éloignées. Cette marginalisation est aggravée par le risque accru de subir des violences fondées sur le sexe, qui conduisent malheureusement souvent à la criminalisation.

Je mène actuellement des recherches sur le handicap dans les établissements correctionnels, en particulier du point de vue des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre autochtones. De nombreux handicaps invisibles passent inaperçus, tout comme les traumatismes résultant de la violence fondée sur le sexe. Ces omissions contribuent aux taux disproportionnés d’incarcération parmi ces personnes marginalisées.

Forte de mon expérience dans l’amélioration de l’accès aux ressources financières pour les personnes autochtones en situation de handicap, je comprends le pouvoir transformateur de la sécurité financière et d’un logement stable. Il est impératif que nous étendions ces possibilités à nos sœurs incarcérées, afin de les sortir du cycle de criminalisation perpétué par la colonisation. Nous souhaitons harmoniser ces efforts avec la mise en place prochaine de la prestation d’invalidité du Canada, laquelle pourrait améliorer la sécurité financière de nombre de Canadiennes et de Canadiens.

Je vais de l’avant avec de l’espoir dans mon cœur et un acharnement sans pareil dans ma quête de justice.

Ensemble, nous pouvons nous unir. Ensemble, nos voix résonneront. Ensemble, nous retrouverons notre force. Nous prendrons le contrôle de notre destinée et honorerons notre mode de vie traditionnel. Par solidarité, nous nous soutiendrons les unes les autres. Main dans la main, nous ouvrirons la voie de la transformation. Côte à côte, nous marchons, réclamant notre héritage culturel et ravivant nos liens ancestraux.

Je voudrais conclure aujourd’hui par un appel à une plus grande humanité. Nous vivons une période précaire où la haine et l’intolérance se développent parallèlement à des conflits dévastateurs qui s’étendent dans le monde entier. Je demande à chacune d’entre nous de crier haut et fort pour protéger les femmes, les filles, les personnes de diverses identités de genre, les enfants et les personnes en situation de handicap, car nous savons que ces personnes sont touchées de manière disproportionnée par les conflits et qu’elles méritent d’être entendues. Plaidez pour la paix dans le monde.

Nos cœurs unis et nos esprits intacts, il n’y a rien que nous ne puissions accomplir.

En solidarité, 

Gunalcheesh / Merci !

- Evelyn Huntjens
Directrice des initiatives pour les Autochtones
DAWN Canada